Ici vous trouverez différents articles et critiques sur différents domaines artistiques.

9 déc. 2014

Enquête


La vie d’artiste au commencement

2 décembre, Laurence Lacoste et Marie-Ève Ledoux, avec la collaboration de Magalie Raymond et Joanie Duquette


     Suite à une récente entrevue avec Vincent Duhaime-Perreault, le monde de la musique paraît moins enchanteur que les médias le démontrent habituellement. Selon l’artiste, sans lien avec les grands diffuseurs ou avec des personnes connues, il est très difficile de se faire remarquer. La question est : est-il nécessaire d’avoir des contacts pour percer dans le monde de la musique?

Les altruistes du milieu

     Lors du spectacle de The Seasons au théâtre Corona le 20 novembre dernier, Rémy Bélanger, le batteur de la formation, a pu éclaircir le sujet. Il affirme qu’en arrivant dans ce domaine, ils n’avaient aucun contact pour les guider. « On ne connaissait cent pour cent personne. On vient de Beauport et on ne connaissait vraiment personne. » M. Bélanger dit que le groupe a bénéficié d’une aide suite à la parution de leur premier album autonome  Velvet EP. Beaucoup plus de gens ont pu entendre leur musique et certaines personnes du milieu, en leur reconnaissant un talent, ont voulu embarquer dans l’expérience avec eux. Le batteur explique que les gens du domaine sont très altruistes et portés à aider les jeunes groupes, « que ce soit au niveau du business ou au niveau de la technique ». Plusieurs expérimentés du monde du spectacle, tel que des techniciens ou des hommes d’affaires, sont prêts à mettre leur grain de sel aux projets des artistes émergents.
     Ils savent également que plus les groupes sont jeunes plus ils tendent à s’améliorer et à devenir bons plus tard. Comme Rémy Bélanger le dit : « N’importe qui gagne à aider des jeunes bands. » Avoir une aide de la part de gens expérimentés est bénéfique pour des débutants, puisqu’ils ne connaissent peut-être pas exactement la réalité du monde dans lequel ils arrivent. En décidant d’aider les artistes à se faire connaître et à se produire en spectacle, les mentors développent l’industrie de la musique avec de nouvelles voix et de nouveaux styles. Ces gens aident les nouveaux arrivants à décoller et un coup partis, ils se font connaître davantage et plus de gens se « collent » à eux. La preuve que cet encadrement a fonctionné est que The Seasons est toujours sur pied et gagne en popularité. Le groupe québécois a maintenant des spectacles un peu partout au Québec, où ils interprètent leur premier album studio, Pulp.


iTunes, une voie d’accès

     C’est en sortant leur premier album autonome sur iTunes qu’ils ont été écoutés et remarqués par plusieurs. Ils ont été approchés de cette façon, après avoir créé leur musique et leur album Velvet EP seuls. Les réseaux sociaux et les marchés comme iTunes permettent une sorte de publicité qui donne l’opportunité aux artistes de se faire connaître sans devoir passer par les grands médias. Souvent vu auprès des nouveaux groupes, ce moyen de s’annoncer s’avère efficace pour plusieurs. Pour The Seasons, il est clair que cette méthode a bien fonctionné et que le tout est allé très vite, car Velvet EP est sorti en janvier 2014 et l’album studio Pulp en avril 2014.

Une expérience moins agréable

     De son expérience dans le monde du spectacle, Claire Bienvenue, une ancienne chanteuse imitatrice, a également son mot à dire sur le sujet. Elle a été en tournée de 2001 à 2005 avec un producteur pour ensuite faire des spectacles corporatifs jusqu’en 2013. Malgré son encadrement, elle a été seule durant une bonne partie de sa carrière. « Il est très difficile d’avancer sans aide », affirmait-elle. Même si aujourd’hui l’artiste ne pratique plus et n’a pas pu avoir une carrière professionnelle, elle a acquis une expérience qui pourra lui être pratique.

     Selon madame Bienvenue, « il est nécessaire d’avoir des contacts pour se tailler une place. » Même si les chanteurs produisent d’excellentes démos (CD de démonstration), il se peut que personne n’aille vers eux. La plupart du temps, les gens du milieu vont préférer aller vers un nom ayant déjà des contacts, ou ayant un lien avec une personnalité connue. Claire Bienvenue mentionne que les producteurs ont parfois peur des nouveaux arrivants. Chaque débutant est un essai à faire, car on ne sait jamais s’il sera la vedette de l’heure ou s’il restera dans l’ombre.

     Au moment d’auditions de comédie musicale, par exemple, la distribution peut parfois être faite avant même que le petit nouveau ne sache qu’il y en eût une. Cette mésaventure est arrivée à Claire Bienvenue. Il est donc extrêmement difficile pour quelqu’un n’ayant aucun contact d’entreprendre une carrière dans ce milieu. Le monde de la musique est, d’après l’imitatrice, très fermé. « Il est parfois difficile de faire les choses par soi-même », avouait la chanteuse. La nouveauté ne peut pas toujours avoir sa place.

Image VS performance

     Claire Bienvenue a vécu une expérience défavorable pour un artiste du monde du spectacle. Il arrive parfois que l’on entende parler dans les médias qu’une personne ayant un surplus de poids, ou n’étant pas jugée « assez jolie », soit renvoyée de l’univers du show-business. Madame Bienvenue a été remplacée par une autre imitatrice parce qu’elle était justement jugée plus belle et apte à faire le boulot à sa place. Apparemment, l’image compte autant, sinon plus que la performance.


Du point de vue d’un recruteur

     Après le grand questionnement par rapport à la nécessité de contacts dans le domaine culturel, une autre question se pose; sans contact, comment les artistes font-ils pour réaliser des spectacles? L’ancienne directrice du théâtre Gesù, Jocelyne Bilodeau sait comment les théâtres et propriétaires de salles font pour recruter leurs artistes. Cela pourrait apporter une réponse à la question précédemment posée. Elle dit que la façon de recruter les groupes dépend beaucoup de l’endroit où le théâtre est situé. Si l’on se trouve dans une grande ville comme Montréal ou Québec, il y aura des agents d’artistes et des producteurs de spectacles qui mettront en relation leurs clients et les directeurs de salles. Cependant, si l’on se trouve en régions, ce sont souvent des diffuseurs de spectacle qui vont s’annoncer à des théâtres et à des salles où ils veulent faire des représentations. Ensuite, il choisit ce qu’il veut offrir à son public et appelle les gérants des artistes qu’il veut voir.

     En région ou dans les grands centres, les imprésarios rendent toujours la tâche plus facile aux interprètes. Cependant, les groupes ou artistes peuvent communiquer avec les salles de spectacle pour en louer seuls, ou en partenariat. Ils peuvent donc se débrouiller sans gérant, mais avec un peu plus de difficultés.

Confirmation

     Selon chacun des interviewés, le travail est toujours plus difficile sans contact, mais tout de même possible. Donc, percer dans le domaine de la musique sans avoir de contact est possible, mais pour y arriver il faut travailler avec acharnement et patience. Déjà connaître des gens dans le milieu artistique rend les choses bien plus faciles pour les jeunes talents en émergence. La vie d’artiste au commencement peut être dure, mais il faut savoir où aller, quoi faire, donner ce qu’on a de meilleur et détruire toutes les barrières.




Il est souvent intéressant de connaître l'envers du décor des milieux artistiques et nous ne sommes pas les seules journalistes à avoir été curieuses. Pour en savoir plus sur le côté caché des éditeurs, nous vous invitons à aller jeter un coup d’œil à cet article.

Événement culturel

Mémoires en vers


 8 décembre 2014, Magalie Raymond

        Ozias Leduc est un peintre québécois majeur, mais aussi un écrivain et un poète amoureux de la nature. Ses 150 ans sont fêtés cette année. Le Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire rend hommage à l’artiste pendant leur journée de poésie tenue le 23 novembre. Plusieurs poètes de la Montérégie se rendirent sur place pour lire leurs créations inspirées par Leduc.

        Cette journée de poésie a un lien direct avec le concours organisé par le Musée, par rapport auquel les artistes s’expriment selon le titre : Salon d’Automne 150 variations sur les traces d’Ozias Leduc. Les toiles sont achetables, ainsi que le recueil de poésie dans lequel se trouvent tous les textes lus lors de cette journée. L’ambiance est donc propice à l’événement. Les gens peuvent admirer l’art sur les murs et s’imprégner des tableaux inspirés par Ozias Leduc. Le calme de la salle laisse deviner le sage public présent lors de cette journée, ainsi que la modestie de celle-ci.


       Durant la lecture des textes, tout artifice est absent, faisant couler le moment naturellement. Le public n’a pas de difficulté à se laisser bercer pas les mots. Ceux-ci deviennent parfois lourds pour un dimanche après-midi, quand la voix du poète ayant la parole est trop monotone et sans éclat. Par contre, d’autres fois stimulants pour l’imaginaire, tels que ceux où les rédacteurs mettent de l'intonation dans leur voix. Pour souligner l’anniversaire du peintre, les poètes s’inspirent de différentes façons d’Ozias Leduc. Des créations en vers libres ou en prose sont abordés. Les paysages, les œuvres, le génie, le parcours et la créativité de Leduc sont également mentionnés. Malheureusement, plusieurs restent dans l’ombre avec leur ton de voix monotone contrastant étrangement avec la beauté et la légèreté de leurs textes. Cela donne l’impression d’un temps long alors que l’événement ne dure que deux petites heures. Même pour une lecture, le tout manque un peu de vie.

Une touche de vie
      Un poète fébrile et jovial à la lecture de son poème ranime la salle un peu trop calme. En effet, Raymond Pilote met de la couleur en cette journée grise avec son texte brillamment inspiré d’un des tableaux d’Ozias Leduc, Les trois pommes d’Ozias. Ce poète est le fondateur d'un club de poésie à Beloeil et sa passion pour ce genre littéraire se ressent dans toute la pièce. Cet événement passe alors de l’ennui à l’éveil.  Dès les premiers vers lus, («Nul autre n'a osé adopter tel anthroponyme: Ozias!», par exemple) l'énergie du poète est palpable. Il pèse ses mots et paraît fier de les dicter à son auditoire. D’autres artistes présentent des textes excellents, mais cet homme est celui qui retient le plus d’attention.

Poésie à la Leduc et flûte traversière
      Certains de ces poètes reviennent devant, suite à une petite pause. Cette fois, ils ne démontrent pas leur art, mais lisent des œuvres qu'Ozias Leduc lui-même a écrites. Cette attention particulière à l'égard du défunt artiste est un geste touchant, mais aussi savant, permettant de faire mieux connaître Leduc à ceux qui sont moins familiers avec celui-ci. Par contre moins de poèmes sont présentés que dans la première partie. Voilà quelque chose qui s’avère prudent de la part des organisateurs, car autrement, la deuxième partie aurait été aussi longue que la première, et peut-être que quelques spectateurs se seraient tannés. 

      Le tout était bien structuré et avait sa place, laissant voir encore une fois la simplicité de l’événement. Curieusement, deux étudiantes au secondaire sont venues jouer entre les poèmes des pièces de musique baroque à la flûte traversière. Intéressant, mais ce moment musical n’a pas tellement de liens directs avec Ozias Leduc. Au moins, le public ne semble pas s’être posé trop de questions là-dessus. 


       Plusieurs autres activités seront à venir en 2015 pour le cercle des poètes de la Montérégie (club de poésie à Beloeil). Raymond Pilote sera de la partie encore une fois. La mission du cercle de promouvoir la poésie sous toutes ses formes sera mise en oeuvre pour une autre année consécutive.

7 déc. 2014

Reportage

L’ailleurs bouleversant de Strauss

Elsewhere, la danse contemporaine à un tout autre niveau.
14 octobre 2014, Karolane Messier

         Heidi Strauss renouvèle son œuvre en grand avec Elsewhere qui fut représenté du 1er au 4 octobre 2014 au théâtre Prospero. Sous la tutelle de la compagnie Danse-Cité, la chorégraphe présente une création de danse contemporaine sur le thème de nos actions quotidiennes et de leurs effets sur la vie des gens qui nous entourent.

Une volonté sociale?
Danielle Baskerville et Luke Garwood.
Crédit photo: Kathleen Smith, The Dance Current, 2011
            La compagnie Danse-Cité est fondée en 1982 par Daniel Soulières. Il a comme volonté de créer une compagnie qui évolue sans danseurs ni chorégraphes permanents. La compagnie tente de développer des projets qui font écho aux enjeux de notre société. Ils le font en encadrant des artistes du début à la fin de leur création. (C’est une compagnie polyvalente qui ne s’axe pas seulement sur la création de chorégraphes, mais elle donne beaucoup de place aux interprètes et aux artistes en périphérie de la danse qui sont très multidisciplinaires — vidéos, musique, poésie, danse, etc.)

            On retrouve aussi dans les antécédents de Strauss une certaine volonté de critique sociale. En effet, en 2013 elle présente avec Adelheid, sa compagnie fondée en 2007, un spectacle intitulé Still here, qui aborde les thèmes de l’apparence, de l’éventualité et des possibilités. 


Cause à affects

             Strauss, d’origine torontoise a présenté un nouveau spectacle au début de l’automne. Celui-ci a pour thème les affects, un phénomène qui la passionne énormément. Elle veut démontrer avant tout la capacité de l’humain à être transformé et à transformer. Strauss insiste également dans sa démarche à ce que les danseurs s’intéressent à leur capacité de résistance et d’adaptation en tant qu’être humain.
L’idée de la chorégraphie lui est venue tout simplement : « En observant les gens autour de moi, je me suis rendu compte qu’on s’affectait tous les uns les autres. Je me suis demandé comment faire pour transmettre cette idée en mouvement… » Elle voyait les affects dans tous les mouvements quotidiens que ce soit promener son chien, jouer au basket-ball ou tourner la page d’un livre. Pour la chorégraphe, les affects sont toujours présents.

             Pour Heidi Strauss, nous sommes affectés par nos expériences du passé — sensations, rencontres, succès et échecs —, mais aussi par les actions des autres. Elle insiste également dans sa démarche à ce que les danseurs s’intéressent à leur capacité de résistance et d’adaptation en tant qu’être humain devant des obstacles. Dans cette création, les danseurs s’oublient complètement. Ils laissent de côté leurs gestes quotidiens et réflexes habituels afin de redécouvrir de nouvelles façons de bouger en créant des liens — une sorte de réaction en chaîne entre eux grâces à des touchers ou effleurements. Il arrive parfois durant les représentations que les respirations et les bruits de pas des danseurs soient utilisés comme trame sonore. Ce concept ramène à la pensée des danseurs qui se doivent de performer en dépassant les limites.


Le tout début

             La création de l’œuvre dure 3 ans. C’est un long processus qui nécessite beaucoup d’observation. Ce n’est pas la complexité des mouvements, mais bien celle des enchaînements qui demande plus de temps et de concentration de la part des danseurs. Ils expliquent que le tout est long, car ils doivent se canaliser sur la coordination de leurs mouvements et ceux des autres. La représentation du spectacle les rend ainsi tous très fiers, car « c’est l’accomplissement de 3 ans de [leur] vie. »


             Consciente que son « spectacle à thème, sans histoire, est un gros risque », Strauss nous présente une expérience à couper le souffle. Cette dernière démontre son talent à exprimer un souci social par les gestes et le corps, et parfois même par les mots des danseurs qui tentent d’expliquer ce qui leur arrive au public. Un spectacle qui nous projette dans un tout autre monde et bien difficile à oublier.   

25 nov. 2014

Critique théâtrale

Les travers de la bourgeoisie

6 novembre 2014, Joanie Duquette, Tranches de culture


      André Ricard, dramaturge québécois de talent est l’auteur de nombreuses pièces telles que Le déversoir des larmes, Gens sans aveu et Le tréteau des apatrides. Néanmoins, sa pièce La vie exemplaire d’Alicide 1er, le pharamineux, et de sa proche descendance est celle qui fait le plus réfléchir… « L’argent ne fait pas le bonheur », cette célèbre expression n’aura jamais été aussi vraie que dans cette pièce. Joué pour la première fois le 6 janvier 1972, André Ricard raconte une histoire de déchirement dans la famille la plus riche de son univers déjanté. Dernièrement, la pièce fut interprétée par de jeunes finissants en exploration théâtrale à la salle Léon-Ringuet du cégep de Saint-Hyacinthe. Mise en scène par Carl Béchard, les représentations ont eu lieu du 24 au 30 octobre 2014.

                 Corruption, affaires frauduleuses, fratricides et même inceste font partie des sujets soulevés par André Ricard par le biais d’Alcide 1er, cet homme contrôlant, manipulateur et avare. Il tente par tous les moyens de garder sa descendance sous sa coupe, mais dans une famille où l’argent est la principale valeur, la zizanie s’installe dans l’ombre puis, devient tranquillement de plus en plus présente. Ils forment des alliances et finissent tous par s’entretuer! Et tout cela dépeint en 12 tableaux (décors). Cette tragédie garde une très grande portée politique et sociale. La fin est un excellent exemple. On peut voir Laurence (la cadette d’Alcide) qui est allée « miner les voûtes de l’édifice » où se trouvent ses frères Pistache et Geoffroy.

                  Le style langagier des personnages est original puisqu’il passe d’un niveau de langue soutenue à un niveau populaire. Cette démarcation se fait entre les riches et les pauvres. Les bourgeois de la famille d’Alcide sont très bien éduqués (en apparence du moins…) alors ils adoptent un niveau de langue plus élevé en accord avec le rang qu’ils occupent dans la société. Le contraire est aussi vrai, puisque la classe moyenne qui manque d’éducation et qui se meurt de faim parle un niveau de langue très populaire. Il s’agit d’une façon pour le dramaturge de faire comprendre au public que les bourgeois et « les autres » ne fassent pas partie du même monde, que tous les opposent. D’ailleurs, ces « sans éducation » sont les premiers à porter assistance et à offrir leur générosité lorsque le besoin s’en fait sentir. Par exemple, Jarmaine parle à une de ses filles et utilise le qualificatif « dévoyé », un mot bien peu utilisé dans le langage courant. Il s’agit plutôt d’un terme bourgeois « éduqué ». Alors que d’autres personnages comme Martha, qui utilise le terme, d’une pauvresse, « pantoute ».

                      Pour le jeu des acteurs, il était impeccable! François Ruel-Côté dans le rôle d’Alcide (ainsi que le policier, le médecin et la statue d’Alcide) était parfaitement dans le rôle du riche manipulateur. Florence Boudreault était la meilleure actrice de la pièce avec son rôle de Laurence la sans-cœur (et aussi l’attachée politique et la servante et couturière). 

                  « On vous récompensera des crimes d’hier si vous n’en commettez pas aujourd’hui », dit si bien André Ricard dans sa pièce Casino voleur (1978). Ceci s’applique inversement dans la pièce d’Alcide 1er puisque l’histoire de cette famille n’est qu’une suite de décadences meurtrières. Il s’agit d’une bonne histoire avec une puissante portée sociale qui éveillera sûrement bien des esprits.   


La vie exemplaire d’Alcide 1er, le pharamineux, et de sa proche descendance
Texte de mise en scène : André Ricard

Du 24 au 30 octobre, Théâtre du Cégep de St-Hyacinthe


22 nov. 2014

Entrevue

Vincent Duhaime-Perreault : hauts et bas du domaine musical

17 novembre 2014, Joanie Duquette, Tranches de culture
Avec la collaboration de Magalie Raymond, Marie-Ève Ledoux, Karolane Messier et Laurence Lacoste.

      Le milieu de la musique a beaucoup évolué depuis quelques années. De plus en plus de gens peuvent produire de la musique à moindre coût comparativement à ce qui se faisait avant. « Pour 2 000 $, tu peux être solidement équipé avec une bonne qualité. [...] Ça a démocratisé parce qu’il y a plus de personnes qui ont accès à ça. », explique Vincent Duhaime-Perreault, un guitariste de formation en jazz de l’Université de Montréal. Le jeune artiste est très polyvalent et participe à beaucoup de projets pour gagner son pain, mais il ne fait pas que ça! Il est aussi compositeur et il enseigne son art à quelques élèves.

Une évolution artistique

Vincent Duhaime-Perrault dans son studio maison.
Crédit photo: Karolane Messier
     Duhaime-Perreault s’initie à la musique à un très jeune âge par sa famille qui en écoutait beaucoup. Enfant, son jeu préféré était de se créer un groupe de musique avec des instruments faits maison. C’est dans son adolescence avec le rock des années 80-90 que la guitare entre dans sa vie. Tranquillement, il concrétise son rêve d’être musicien en devenant étudiant en musique au cégep de Drummondville et ensuite à l’Université de Montréal en guitare jazz. Son expertise n’est donc pas à discuter. « Déjà à l’époque [de l’université], je faisais ça pour gagner mes sous », nous a-t-il raconté.

La numérisation profitable


      Depuis l’enfance de notre guitariste, bien des choses ont changé. Il explique que de nos jours, il est beaucoup plus facile de posséder un studio qu’il y a quelques années. Nous n’avons « plus besoin d’avoir environ 50 000 ou 60 000 $ pour produire de la musique. Juste besoin d’un portable et du savoir-faire. » Tout est numérique et tout se fait par ordinateur. Plus besoin d’un gros studio d’enregistrement très coûteux et d’un million de boutons pour modifier le son des instruments. C’est entre autres grâce à cette simplicité que la musique est « démocratisée ». Le marché musical s’en trouve plus diversifié et foisonnant.



 

Une médaille a deux faces


      Toutefois, il ne faut pas s’imaginer que la vie de musicien ne comporte que de bonnes choses. Elle a son lot de désavantages comme tous les métiers. D’ailleurs, Duhaime-Perreault fait remarquer que dans l’industrie de la musique « il y a une sorte de clique de gens qui sont «  In  » et si tu ne tombes pas dans les bonnes grâces de ces gens-là, eh bien! parfois, ça ne fonctionne pas... » Selon lui, ce milieu est rempli de projets (compositions, formations de groupes et organisations de spectacles, par exemple), mais également de beaux parleurs. « De se faire présenter quelque chose comme si c’était la meilleure chose au monde et finalement ça ne se concrétise jamais, eh bien!, tu te dis que tu as quand même perdu ton temps à t’en faire parler... »



       Bien que cela s’avère difficile par moment, gagner sa vie avec cette forme d’art est tout à fait possible. Comme le système ne fonctionne que par projets et contrats, les musiciens vivent parfois des creux, des moments où les sources de revenus se font plus rares. Il existe différentes façons de faire face à ce genre de défi. Duhaime-Perreault, pour sa part, enseigne à quelques élèves et joue dans les bars et cabarets. Il compose également des pièces musicales pour les projets auxquels il participe, ainsi que pour des commandes qu’on lui envoie. « Juste jouer, ça ne serait pas assez. Juste enseigner non plus. Il faut vraiment faire les trois. » En effet, puisque le salaire moyen d’un musicien s’élève à environ 22 000$/année et un compositeur fait en moyenne 36 000$/année. La méthode de Vincent Duhaime-Perreault est donc intelligente pour avoir un revenu plus régulier.


 Une passion vibrante



       M. Duhaime-Perreault est un artiste très passionné. Les embûches du métier ne suffiront pas à le détourner de sa volonté de faire de la musique. « Quand j’ai la chance de travailler, de faire des projets que j’aime, c’est le meilleur métier au monde! Et j’adore ça! Je sais que je suis heureux, quand je le fais! C’est quand je n’ai pas l’occasion de le faire que je suis plus anxieux ou malheureux », a-t-il dit. Pour lui, rien n’est mieux que de jouer des compositions originales. C’est là que « se situe le nerf de la guerre » selon ses dires.



       Les hauts et les bas de la vie d’un artiste comme Vincent Duhaime-Perreault sont aussi fréquents et semblables que ceux d’un manège. Parfois imprévisibles, nombreux et angoissants au départ. Toutefois, après avoir vécu avec un mode de vie du genre comme après avoir fait une montagne russe, on ressent jusque dans ses tripes que c’en valait la peine. Pour notre artiste, ce manège ne s’arrête jamais puisque le jeune guitariste travaille présentement sur un projet de jazz qui sera sans doute présenté dans les bars et cabarets montréalais d’ici peu.





Voici une composition jazz de Vincent Duhaime-Perreault:



18 nov. 2014

Critique théâtrale 2

Rue Fable         

Sans mot

Mercredi 12 novembre 2014, Marie-Ève Ledoux         


  Depuis l’été 2014, Réal Bossé et Sylvie Moreau ont rejoint Jean Asselin à la direction artistique de la compagnie OMNIBUS, le corps du théâtre. Ils réalisaient ensemble leur première maîtrise d’œuvre conjointe avec Rue Fable, une farce présentée en première le 21 octobre dernier au théâtre Espace Libre.


  Cette pièce suit les vies de six personnes habitant la rue Fable, à travers leur quotidien et au fil des saisons. Chaque personnage a son caractère qui lui est propre, son propre style, sa propre porte d’entrée et parfois même, sa propre musique. Le son a une importance capitale dans cette pièce, car les personnages ne parlent que très peu et les sons ambiants remplacent les objets. Par exemple, à la place d’utiliser un vrai trousseau de clés pour déverrouiller les portes des logements, les acteurs miment l’action et un bruit artificiel de clés s’entrechoquant se fait entendre dans la salle. De cette manière, les sons mènent l’histoire tout au long de la pièce, ce qui donne à celle-ci une touche d’originalité et d’humour. L’aspect sonore permet également aux metteurs en scène d’inclure plusieurs scènes symboliques.



Un appel à l’interprétation


  Avec tous les sons artificiels qui y sont ajoutés, cette pièce de théâtre se range plutôt du côté du théâtre truqué, postmoderne. Elle possède un côté métaphorique intéressant également, car durant les changements de saisons, les acteurs sortent un peu de leurs personnages pour mimer soit des feuilles qui tombent, soit des flocons de neige dans une tempête ou même des fleurs qui poussent et éclosent. Les scènes de ce genre font appel à notre interprétation et l’on peut comprendre ces mimiques grâce aux différents bruits qu’on entend simultanément. Cela fait penser au film The Tribe, de Myroslav Slaboshpytskiy, dans lequel les personnages communiquent uniquement par langage des signes. Dans ce cas-ci comme dans Rue Fable, nous n’avons pas (ou très peu) accès au message par la parole, mais par les gestes et les sons. Il est impressionnant de voir que nous n’avons pas de difficultés à comprendre le sens de ces œuvres en étant privés du moyen de communication le plus utilisé quotidiennement, en n’ayant recours qu’à notre interprétation des éléments stylistiques.

  Des musiques classiques interviennent souvent pour signifier que le temps passe, soit d’une saison à l’autre, ou seulement d’une journée à une autre. Les séquences musicales deviennent plus rythmées quand il y a plus d’action, par exemple quand les acteurs imitent des vêtements suspendus à une corde à linge, qu’il se met à venter et que ceux-ci partent au vent. Ces musiques accompagnent souvent les scènes symboliques. On utilise parfois quelques leitmotivs pour annoncer la venue de certains personnages, ou de certaines situations qui se répètent. Telles que les scènes humoristiques entre la Tite en Crisse et Monsieur Maxime, où elle le dérange sans cesse et où il se débarrasse d’elle toujours d’une manière très caricaturale et humoristique.

  L’éclairage joue un rôle presque aussi important que le son, dans cette histoire. Il nous indique les moments de la journée et parfois, les ambiances qui règnent sur la rue Fable. Par le fait même, c’est variations de lumière nous aident à comprendre l’action. Quand l’éclairage devient plus clair et plus bleuté, on comprend que l’hiver vient d’arriver ou, s’il devient ne serait-ce qu’un peu plus doux, que l’action se passe au petit matin.

  Toute l’histoire se passe sur une scène à l’italienne à la hauteur du sol, plus basse que les spectateurs. À part une bûche de bois qui sert de banc et de sac, aucun objet n’est utilisé. Ce n’était pas un inconvénient, car ce n’était pas nécessaire; le public a réussi à comprendre sans objets. Les costumes étaient les seuls accessoires des acteurs et ils étaient bien choisis, parce que l'on aurait pu déterminer leurs caractères et personnalités seulement en les regardant.

  Les comédiens ont bien joués; ils restaient dans leur personnage même durant les scènes où ceux-ci ne prenaient pas part à l’action et faisaient face au mur du fond. Les acteurs continuaient de bouger au ralenti, dans l’ombre, selon les mouvements de leur personnage.

  La première maîtrise d’œuvre conjointe de Jean Asselin, Réal Bossé et Sylvie Moreau mérite le détour. Avec l’originalité et l’humour dont elle fait preuve, l’absence de mots nous impressionne et finit par nous laisser sans mots.


Rue Fable
OMNIBUS, le corps du théâtre
Texte et mise en scène : Jean Asselin, Réal Bossé, Sylvie Moreau et Alexandre Lang


Du 21 octobre au 15 novembre, théâtre Espace Libre


Critiques théâtrales

Critique théâtrale 3

Virginia Woolf revisitée sur scène   

 17 novembre 2014, Magalie Raymond     


           Ayant passé par Une vie pour deux, L’imposture, Les pieds des anges et Bashir Lazhar, Évelyne de la Chenelière nous présente cette fois-ci Lumières, lumières, lumières, inspiré du roman Vers le Phare de Virginia Woolf. Tout comme ses autres textes scéniques, l’émoi et la condition humaine se retrouvent dans la recette au travers de deux personnages féminins qui expriment leurs pensées et états d’âme sans censure.


         Lily Briscoe et Madame Ramsay sont deux femmes aux ambitions très différentes, mais qui ont un point en commun apportant une longue discussion entre elles. Les deux s’interrogent sur le temps. Pas seulement celui qui passe, mais aussi les temps de verbes, sur comment bien les utiliser pour parler de leurs êtres chers. Elles refont vivre par leurs paroles, les souvenirs qui vivent encore en leur être. Le texte étant plutôt complexe dans ses intentions peut paraître plutôt difficile à cerner, mais lorsque déchiffré, laisse le spectateur touché. 
Crédit photo: Caroline Laberge
     Les actrices d’ailleurs, Anne-Marie Cadieux et Évelyne Rompré, ont grandement contribué au rendement de la pièce. La prestation d’Anne-Marie Cadieux était sublime. Le personnage est incarné avec brio, la personnalité faussement joyeuse de Madame Ramsay étant bien jouée. Les mouvements souples et délicats de l’actrice lui donnaient l’impression de planer sur scène. Évelyne Rompré de son côté, a tout aussi bien joué son rôle qui est plutôt contrastant avec l’autre femme. Lily Briscoe est un personnage plus sérieux, voire moins romantique. Évelyne Rompré a bien su montrer ce côté du personnage féminin et les sentiments de celle-ci étaient très palpables sur scène. Le petit accrochage subtil de son monologue au début de la pièce s’est bien vite fait oublié.

            Étant une petite salle de présentation, leur voix se faisait bien entendre de tous. Le décor plutôt simple se trouve non seulement suffisant, mais très intéressant en plus. Le duo de miroirs et de projection de la mer donnait un effet très hypnotisant qui mettant l’emphase sur les actrices plutôt que par simple but d’épater la salle. Lors de la pièce, Anne-Marie Cadieux et Évelyne Rompré se déplacent en face de cette projection, mais aussi en arrière de celle-ci. L’effet des ombres des silhouettes donne un effet visuel calme et plaisant à l’œil. Le spectateur a même l’impression à un certain moment qu’Anne-Marie Cadieux est debout au beau milieu de la mer.

    Le choix des costumes aidait aussi à mettre en valeur ces silhouettes, avec la simple utilisation de robes blanches légères. Il ne semblait pas avoir de musique — et si c’était le cas, elle se fondait extrêmement bien à la pièce pour ne pas être remarquée — ou même d’effets sonores, et pourtant il n’y eut pas de vide. Vraiment, les deux personnages emplissaient la salle à elles seules, tous les regards braqués sur leur personne.

   Il est important de mentionner les miroirs qui reflétaient Évelyne Rompré et Anne-Marie Cadieux sur plusieurs angles, apportant dans l’effet visuel une certaine intimité voir de la vulnérabilité à leur jeu. Il peut donc être conclu que le fond et la forme dans cette pièce-ci étaient en parfaite harmonie.


Lumières, lumières, lumières
Texte : Évelyne de la Chenelière
Mise en scène : Denis Marleau
Du 11 novembre au 6 décembre, Théâtre ESPACE GO






Critique théâtrale 4

Rue Fable, une représentation en gestes  

18 novembre 2014, Laurence Lacoste     

Crédit photo: Catherine Asselin-Bélanger
   Il était une fois l’histoire de six voisins très différents les uns des autres. Certains étaient charmeurs, sportifs, étranges, enragés, timides, et même cherchant leur chat. Ils avaient par contre tous un point en commun : la rue Fable.


   La pièce de théâtre Rue Fable, présentée du 21 octobre au 15 novembre à l’Espace Libre, mise en scène par Jean Asselin, Réal Bossé et Sylvie Moreau, n’est pas très loin de représentations habituelles de ces artistes sortant de l’ordinaire. Créateurs communs d’OMNIBUS, l’école de théâtre corporel, ils décident de créer la pièce. Leurs créations habituelles se rejoignaient trop pour qu’ils ne produisent pas une représentation ensemble. On peut dire que le travail commun de ces artistes est une réussite.

Un imprévu chanceux
   Le soir de la représentation du 25 octobre, l’acteur Pascal Contamine, ne pouvant jouer son rôle suite à une blessure, dû abandonner pour quelques jours. Cependant, Réal Bossé apprit son texte en moins d’une heure avant la représentation et le remplaça. Voilà une chance pour ses admirateurs.

Originalité 101
   Tout au long de la représentation, c’est axé sur les gestes et la musique accompagnants les acteurs. On a pu entendre le concerto de violon en F mineur de Vivaldi plusieurs fois dans la trame sonore. De plus, il serait faux de dire qu’il y a un réel sens à cette pièce. Les personnages se côtoient en sortant de leurs appartements de la rue Fable et ils sortent parfois ensemble se saouler, malgré que certains n’aient pas l’air de s’apprécier… Bref, ils sont voisins et liés par leur habitat.

   La vie quotidienne, sans surprises, est représentée dans  Rue Fable. Un boxeur cherche à séduire sa voisine, grande timide, qui cherche son chat. Le vieux désire séduire la Lola Lipop enragée. Le séducteur incite une gamine à faire de mauvais coups et cherche à l’avoir pour lui. Finalement, ils sont tous aussi fous les uns que les autres dans leur banalité.

   La pièce est également axée sur les émotions que l’on doit lire sur leurs visages en tant que spectateurs. Étant donné la salle de l’Espace Libre, il est facile d’analyser les émotions des comédiens, qui se retrouvent parfois à moins d’un mètre du spectateur de la première rangée. Avec le peu de paroles, il est clair que pour comprendre, on doit suivre les émotions et les mouvements exécutés.

Différence
   Le langage de cette pièce, pour le peu qu’il y en a, est très familier. On n’entend que des sacres, des soupirs de mécontentements, des essoufflements et une chanson de la timide au chat. L’ensemble est tout de même assez rapide pour une pièce de théâtre contenant aussi peu de répliques. On ne pense même pas à regarder l’heure tant l’attention est prise par la très bonne pièce. D’ailleurs, elle est sans entracte.

   Les comédiens se déplacent dès le tout début d’un côté de la scène à l’autre, en passant dans les coulisses. La traversée de la scène se fait dans une démarche rapide et anormale. Ils marchent tous en faisant des pirouettes, en claquant du pied ou encore en courant. On ne comprend pas vraiment pourquoi, jusqu’à ce qu’ils arrivent les uns après les autres à leur appartement, qui se constitue d’une parcelle de plancher différent pour chaque demeure. Le décor n’est fait que de ces parcelles et du mur en béton derrière, qui est probablement celui originel de la salle. Il est clair que la pièce ne repose pas sur le visuel non vivant.

Synchronisation, perfection
   Jean Asselin, Audrey Bergeron, Réal Bossé, Sylvie Moreau, Bryan Morneau et Émilie Sigouin jouent leurs rôles comme s’ils étaient des machines. Le concept de la rue est représenté parfaitement dans cette salle.
Un jeu et une représentation sortant de l’ordinaire, envers quoi l’on doit être ouvert d’esprit, voilà ce qu’est Rue Fable.

Rue Fable 
Omnibus, le corps du théâtre
Texte de mise en scène : Jean Asselin, Réal Bossé et Sylvie Moreau
Du 21 octobre au 15 novembre, Espace Libre

8 nov. 2014

Critique littéraire

Ces mains sont faites pour aimer  

La renaissance de Julia


Mardi 30 septembre 2014, Marie-Ève Ledoux, avec la collaboration de Joanie Duquette, Magalie Raymond, Karolane Messier. 


 
© Karolane Messier 

«Trouver une religion. Me mettre à la boxe. Lui faire éclater le nez.» C’est ainsi que débute le dernier roman de Pascale Wilhelmy, publié le 5 mai dernier. L’écrivaine reprend le personnage de Julia -qui apparaît également dans son premier livre intitulé Où vont les guêpes quand il fait froid?- tout en  traitant de thèmes sérieux tels que le deuil et l’amour.


  Intitulé Ces mains sont faites pour aimer, ce nouveau roman poursuit l’histoire de Julia après la mort de son mari. D’abord dépressive, la veuve ne cesse de penser à son passé malheureux, ce qui n’améliore pas son état. Toutefois, suite à un incident avec son amant, elle se décide à se prendre en main et c’est à ce moment que commence sa renaissance. De la boxe à la religion, de la peinture à la recherche d’une nouvelle maison, elle entreprendra toutes sortes de projets qui l’aideront à se débarrasser de ses malheurs et tourments.


Une œuvre judicieusement travaillée

  L’évolution psychologique de Julia au cours du récit est étonnamment claire. En commençant, elle est encore en deuil et ne prend pas tant plaisir à assister aux soupers d’amies, de famille, ou à sa relation avec son amant. Elle n’est pas heureuse et avec toutes ces pensées concernant ses mauvais souvenirs, on comprend vite que son passé la suit de près et la tourmente beaucoup. Par contre, dès qu’elle décide de se reprendre en main, Julia règle ses problèmes un à un et devient plus sereine, plus en paix avec elle-même. Cette femme réussit finalement par se remettre du suicide de son mari. Pouvoir comprendre cette évolution sans trop de mal est un des points forts de cet ouvrage. L’histoire tourne autour des états d’esprit de Julia, racontant son passage de la quasi-dépression à sa nouvelle vie; les détails concernant ce changement psychologique sont nécessaires et le clarifient davantage.

  Le choix d’un narrateur autodiégétique et donc d’une focalisation interne est également un grand avantage pour le récit. L’évolution psychologique est encore plus évidente, car cela permet une vision subjective des événements en passant par les yeux du personnage. On comprend mieux les sentiments, les motivations et les actes de Julia en ayant directement accès à ses pensées.

  Le style simple de Pascale Wilhelmy est approprié pour une histoire comme celle de Julia. L’auteure n’a pas inclus beaucoup de personnages, seulement l’essentiel. En ajouter aurait été inutile et n’aurait fait qu’embrouiller la compréhension du récit. Elle a également joué sur le rythme et la longueur des phrases, ce qui est très astucieux. Dans la première partie du roman, quand Julia n’est pas bien avec elle-même, on remarque une ponctuation abondante. Les phrases sont courtes et coupent sec. Elles ne donnent pas beaucoup de détails. Cependant, quand la veuve commence à se sentir mieux, soulagée d’un passé qu’elle peut enfin laisser derrière elle, les phrases s’allongent un peu, laissant place à une impression d’ambiance plus détendue, moins précipitée. La ponctuation se fait également plus discrète. Le rythme différant selon le temps du récit semble refléter les états d’âme de Julia, ce qui je trouve, est très bien pensé.

  Le paratexte aussi possède un style à la fois simple et signifiant. Les couleurs employées ne sont pas éclatantes ni agressantes. Elles sont douces tout comme Julia dont les mains sont faites pour aimer et non pour se battre. Sur la première de couverture, l’image d’arrière-plan semble être un plâtre, symbolisant la douleur, mais également une rémission. C’est un merveilleux travail que d’avoir pu créer un paratexte à l’allure si simple et à la signification si importante.

  Au début du roman, la mise en contexte m’a paru un peu trop longue. Les multiples descriptions des expériences sexuelles de Julia prennent beaucoup de place et je ne pense pas qu’elles soient toutes nécessaires. On aurait pu en remplacer quelques unes par des descriptions sur les relations de Julia avec sa famille, par exemple. Elle la mentionne sans donner davantage de détails : «Nous partageons bien peu, sinon les repas des fêtes et le même sang. Nous sommes unis. Et de parfaits étrangers.» Pourquoi les membres de la famille ne sont-ils pas proches? Il aurait été intéressant d’en savoir plus.

  La renaissance de Julia autant dans un deuxième récit que dans une vie heureuse s’annonce comme une belle histoire. Après Où vont les guêpes quand il fait froid?, le second roman de Pascale Wilhelmy est une confirmation que les mains de celle-ci sont faites pour écrire, autant que celles de son personnage sont faites pour aimer.




Ces mains sont faites pour aimer, Pascale Wilhelmy, Libre Expression, 2014, 165 pages.