Les travers de la bourgeoisie
6 novembre 2014, Joanie Duquette, Tranches de
culture
André
Ricard, dramaturge québécois de talent est l’auteur de nombreuses pièces telles
que Le déversoir des larmes, Gens sans
aveu et Le tréteau des apatrides.
Néanmoins, sa pièce La vie exemplaire
d’Alicide 1er, le pharamineux, et de sa proche descendance est
celle qui fait le plus réfléchir… « L’argent ne fait pas le
bonheur », cette célèbre expression n’aura jamais été aussi vraie que dans
cette pièce. Joué pour la première fois le 6 janvier 1972, André Ricard raconte
une histoire de déchirement dans la famille la plus riche de son univers
déjanté. Dernièrement, la pièce fut interprétée par de jeunes finissants en
exploration théâtrale à la salle Léon-Ringuet du cégep de Saint-Hyacinthe. Mise
en scène par Carl Béchard, les représentations ont eu lieu du 24 au 30 octobre
2014.
Corruption, affaires frauduleuses, fratricides et
même inceste font partie des sujets soulevés par André Ricard par le biais
d’Alcide 1er, cet homme contrôlant, manipulateur et avare. Il tente
par tous les moyens de garder sa descendance sous sa coupe, mais dans une
famille où l’argent est la principale valeur, la zizanie s’installe dans
l’ombre puis, devient tranquillement de plus en plus présente. Ils forment des
alliances et finissent tous par s’entretuer! Et tout cela dépeint en 12
tableaux (décors). Cette tragédie garde une très grande portée politique et
sociale. La fin est un excellent exemple. On peut voir Laurence (la cadette
d’Alcide) qui est allée « miner les voûtes de l’édifice » où se
trouvent ses frères Pistache et Geoffroy.
Le style langagier des personnages
est original puisqu’il passe d’un niveau de langue soutenue à un niveau
populaire. Cette démarcation se fait entre les riches et les pauvres. Les
bourgeois de la famille d’Alcide sont très bien éduqués (en apparence du
moins…) alors ils adoptent un niveau de langue plus élevé en accord avec le
rang qu’ils occupent dans la société. Le contraire est aussi vrai, puisque la
classe moyenne qui manque d’éducation et qui se meurt de faim parle un niveau
de langue très populaire. Il s’agit d’une façon pour le dramaturge de faire
comprendre au public que les bourgeois et « les autres » ne fassent
pas partie du même monde, que tous les opposent. D’ailleurs, ces « sans
éducation » sont les premiers à porter assistance et à offrir leur
générosité lorsque le besoin s’en fait sentir. Par exemple, Jarmaine parle à
une de ses filles et utilise le qualificatif « dévoyé », un mot bien
peu utilisé dans le langage courant. Il s’agit plutôt d’un terme bourgeois
« éduqué ». Alors que d’autres personnages comme Martha, qui utilise
le terme, d’une pauvresse, « pantoute ».
Pour le jeu des acteurs, il était
impeccable! François Ruel-Côté dans le rôle d’Alcide (ainsi que le policier, le
médecin et la statue d’Alcide) était parfaitement dans le rôle du riche
manipulateur. Florence Boudreault était la meilleure actrice de la pièce avec
son rôle de Laurence la sans-cœur (et aussi l’attachée politique et la servante
et couturière).
« On vous récompensera des
crimes d’hier si vous n’en commettez pas aujourd’hui », dit si bien André
Ricard dans sa pièce Casino voleur (1978). Ceci s’applique inversement dans la
pièce d’Alcide 1er puisque
l’histoire de cette famille n’est qu’une suite de décadences meurtrières. Il
s’agit d’une bonne histoire avec une puissante portée sociale qui éveillera
sûrement bien des esprits.
La vie
exemplaire d’Alcide 1er, le pharamineux, et de sa proche descendance
Texte de mise en
scène : André Ricard